Le Consultant

Dans mon ancienne vie, je travaillais pour cette boîte qui embauchait occasionnellement des consultants. Je me dois de préciser, malgré leur mauvaise réputation, l’immense respect que je porte à leur activité, un mal nécessaire selon certains, la quintessence du libéralisme selon d’autres, et bien que l’on les réduise souvent à ce cliché voulant qu’ils n’aiment que l’argent facile, je compatis avec ces gens incapables de se trouver un CDI comme tout le monde, sans doute par manque de choix, de perspectives viables sur le marché de l’emploi. Bref, je serais bien la dernière personne à les juger et à leur lancer la pierre.

Vint ce jour où, prise dans des circonstances exceptionnelles, il me fallut avoir recours aux services de l’un de ces professionnels. Ne me réprouvez pas, vous qui ne connaissez pas ma situation. Sachez qu’avant d’entamer mes recherches, j’ai établi des critères scrupuleux qui ont guidé mes choix et m’ont permis de trouver l’une de ces perles rares qui ont à la fois pour leur travail un amour profond et une conscience professionnelle rigoureuse sans se trouver dans une situation d’exploitation.

C’est dans cet état d’esprit que je me suis mis en tête de trouver un consultant n’exerçant que de façon occasionnelle. Il me semblait évident qu’un professionnel risquait de traiter mon dossier à la chaîne et j’avais peur de sentir sur celui-ci la patte de d’autres clients sur les filières desquelles il aurait pu se pencher plus tôt dans la journée. Afin d’être traitée avec professionnalisme, il me fallait évidemment trouver un amateur.

Je me suis mise en relation avec lui pour lui détailler mes besoins. Il m’établit un devis, que je trouvais par ailleurs un peu cher, mais je le sentis se braquer immédiatement quand je lui fis parvenir une offre moindre. Étant moi-même très empathique, je compris qu’il avait besoin d’être rassuré et c’est pourquoi je lui envoyai un photo de moi. Ainsi pouvait-il constater que je n’étais pas une de ces clientes moches qui allaient lui rendre le travail pénible, peut-être pourrait-il même prendre un plaisir non feint, vu la teneur de mon projet ? N’était-ce pas là l’occasion pour lui de faire quelque chose réellement par passion, laissant de côté son penchant vénal ? En quelque sorte, je lui proposais une occasion de se sublimer. Bizarrement, il refusa.

Ayant néanmoins besoin de ses services, je pris le parti d’accepter ses conditions, à la suite de quoi il me demanda de consulter son horaire et de prendre rendez-vous à un créneau précis. Je compris à ce moment sa volonté d’organiser les choses et de se présenter comme un professionnel, mais ce n’était pas réellement ce que je souhaitais, aussi lui proposai-je d’échanger nos numéros de portable afin de profiter de ses meilleures dispositions. « Je préférerais vous rencontrer que lorsque vous avez vraiment cette envie viscérale de me voir. »

Je crois que ma sollicitude l’a bouleversé, car sa réponse laissait entendre que ce n’était pas comme ça qu’il envisageait son travail, que pour lui la prise de rendez-vous était nécessaire à une prestation de qualité.

À vrai dire, je ne m’attendais pas à lui causer tant d’émotion, j’avais conscience de ne pas être une cliente comme les autres, à la recherche d’un service qui soit, dans le plus grand respect, un plaisir partagé. Je me pliai à sa demande, mais à cette étape, je ressentais néanmoins une tension dans nos échanges, sans comprendre ce qui avait pu causer cette crispation. Sans doute passait-il une mauvaise journée. Je me mis en tête de faire tout en mon pouvoir pour que la prestation soit pour lui un exutoire, un moment d’exaltation, une parenthèse dans sa pauvre vie ostracisée de renégat. Après tout, pour en venir à faire du consulting, quand on y pense…

Lors de notre rendez-vous, les échanges furent parfaitement fluides. Il m’attendait dans son complet propre, chaussures cirées, cheveux juste ce qu’il faut de décoiffés. C’est lui qui pris le parti de me mettre en confiance.

« Merci d’avoir accepté mon devis, à présent, si nous parlions des éléments de votre projet ?

— En fait, j’ai réfléchi, et par respect pour votre travail, je vous demande de ne pas faire de cas de ma demande.
— Pardon ?
— Et si l’on faisait plutôt ce dont vous avez vraiment envie de faire avec moi ?
— Mais… C’est vous qui avez besoin de mes services, c’est vous qui me contactez… Je ne comprends pas où vous voulez en venir, je n’ai pas d’envie particulière avec vous…
— Mais si, vous devez avoir vous aussi de ces envies humaines d’être satisfait, de prendre du plaisir dans votre travail, surtout après ces projets anonymes qui vous souillent et où vous devez vous forcer…
—Mais madame…
—Écoutez, si je vous ai contacté, c’est pour que vous laissiez tomber le masque et ayez un contact authentique avec moi. J’y tiens absolument. Fermez les yeux. Imaginez ce que vous rêvez de faire, tout de suite, là, maintenant. Osez, lâchez-vous, je suis prête à tout pour vous satisfaire ! »

Il se leva d’un coup sec, pris l’enveloppe contenant le règlement de la prestation et quitta la pièce, me laissant interloquée.

Depuis cette mésaventure, j’aimerais mettre en garde les personnes qui comme moi seraient naïves au point de vouloir embaucher un consultant : attention aux arnaques ! Lorsque l’on n’a comme moi que de bonnes intentions, il est facile d’abuser de votre confiance…

Je tire néanmoins une leçon de cette déconvenue qui, je précise, ne m’a pas découragée d’embaucher des consultants à nouveau. Voici donc mes conseils :

  • Toujours rechercher les VRAIS occasionnels
  • Tentez de négocier les tarifs à la baisse
  • Soyez le plus vague possible dans votre prise de rendez-vous
  • Rassurez votre consultant avec une photo de vous, si possible en caleçon avec un chat dans les bras.
  • Assurez-vous à tout prix de lui proposer un projet qu’il pourra faire par passion, en oubliant presque de vous encaisser.

Bon, je sais que mes conseils peuvent paraître étranges vu mon infortune, mais il faut savoir que le problème que j’ai rencontré ne pouvait venir que de lui, et pas de moi.

En espérant que ce partage d’expérience au sous-texte humoristico-cynique puisse vous donner quelques billes pour la prochaine fois que vous contacterez une escortgirl.

Affectueusement,