Affiche du film La Maison d'Anissa Bonnefont avec Ana Girardot

La Maison – film de Anissa Bonnefont

Vous êtes plusieurs à me demander ce que je pense du film La Maison, le film librement adapté du roman de Emma Becker, réalisé par Anissa Bonnefont et mettant en vedette Ana Girardot.
Je vous avoue que je suis déçue, voire en colère.

Oui, j’ai lu le livre et je sais qu’un film ne se réalise pas comme un livre et qu’il y a des ressorts narratifs différents.
Oui, je sais qu’il faut que l’audience puisse s’identifier à certains personnages pour rendre le tout plus attachant et plus digeste.
Mais ça ne justifie pas des décisions scénaristiques horribles et les autres choix déplorables de la réalisation : une musique inquiétante, une direction photo et un éclairage des scènes intimes glauque rappellant les bas fonds mafieux rien qui rappelle la douceur irradiante du livre, à part peut-être les scènes de discussion entre collègues qui sont crédibles quant aux visions, rapports aux clients, au corps, au sexe, et à leurs vies à l’extérieur.

À part ces scènes de sororité, rien ne me semble réaliste et surtout pas les scènes de sexe avec les clients – à mon sens gratuitement pornographiques, contrairement à ce qu’en dit la réalisatrice. C’est du MALE GAZE à chaque instant. Ça m’a mise très mal à l’aise.

J’ai aimé l’usage de la narration au début et à la fin, mais ça manquait au milieu du film, alors que les dialogues sont lourds d’explications. On est loin de la technique du « Show, don’t tell ». Tout a été prémaché pour le spectateur. Le problème c’est que ce prémâché provient de et entretien des stéréotypes (et même tropes cinématographique) sur les TDS : l’insouciante qui ne se rend pas compte du danger, la punition d’avoir fait le mauvais choix, la manipulatrice mesquine.

cw : spoiler
tw : viol

Le choix de présenter la sœur et le petit ami comme strictement en opposition avec les choix d’Emma donne l’impression que Emma est une jeune écervelée qui s’entête envers et contre tous et un jour elle sera punie et tant pis pour sa gueule, elle l’a bien cherché.

L’opposition forte et systématique de son entourage n’est pas réaliste, dans nos vies y’a plein de personnes qui ont juste une fascination maladive et qui sont excitées voire intrusives quand on leur en parle.

Contrairement au récit initial, Emma n’est pas bienveillante envers ses clients. Son déshabillage est froid. On dirait que la réalisatrice n’a pas compris que la mécanique est réelle au bordel, maos ça ne veut pas dire qu’elle n’est pas sensuelle.

La scène de l’apprentissage du cunni est trop rapide et impatiente, on n’y croit pas.

Je n’ai pas compris l’utilité cinématographique de la scène de sexe perso découpée en saccadé, j’ai encore eu l’impression d’être dans le male gaze porno.

La dernière scène est puissante et émouvante, ce qui ne rattrape PAS l’IGNOMINIE d’avoir rajouté une scène de viol sans capote qui n’est pas au livre ni dans son expérience. ARK ARK ARK encore une fois une pute dans un film est de la chair à viol.

Encore une fois on punit une TDS de ses choix de vie, encore une fois on dirait que l’écervelée n’a que ce qu’elle mérite parce que pas assez lucide pour se rendre compte du danger. (Peut-on vraiment choisir ce métier ?)


Dernier point pour moi : j’ai regardé quelques interviews avec la réalisatrice et sa vedette principale. Je suis énervée qu’à chaque fois, elle véhicule que l’immense majorité de la prostitution n’est pas choisie (donc forcée, vous me suivée).

Elle le dit tout le temps. Et c’est faux. T’as fait un film (…), ok mais ne profite pas de cette tribune pour renforcer des mensonges au sujet de nos vies. Aies au moins l’humilité de dire que tu n’y connais rien et que c’est plus compliqué que ça.

J’ai vu à quelques endroits qu’elle disait que le Strass avait été consulté pour faire son film. C’est faux. Une personne impliquée au Strass a été consultante pour les scènes de domination, qu’à titre personnel je trouve convaincantes.

Une rencontre a été sollicitée avec le Strass début mai, à l’étape post-prod, pour l’informer et l’outiller des discours et revendications TDS en France et dans le monde. Je n’étais pas présente, je suppose qu’elle a effectivement eu lieu.

Je respecte les collègues qui ont pu collaborer à ce film, et ce thread ne représente que mon opinion et mon analyse, pas une position officielle de mon syndicat.

Ce qui me tord, c’est qu’encore une fois, on a confisqué un vécu et un discours pute, on l’a altérisé, on l’a monstrifié et on l’a traumapornifié. D’un livre humaniste, riche et lumineux, on a tiré un film inquiétant qui semble avoir tout fait pour servir un discours abolitionniste.

tl;dr Allez lire le livre.