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Qu’est-ce qui t’a menée aux métiers du sexe ?
À l’origine, c’était pour valoriser une partie de ma sexualité. En effet, j’étais toujours très attirée par des hommes timides, avec très peu d’expérience, des geeks, des intellos, des gars qui avaient peu de bajou auprès des femmes. Comme j’étais proactive, je les séduisais et il se passait un truc, mais le différentiel d’expérience tant sexuelle que dans la vie en général faisait que la relation ne tenait pas vraiment longtemps, à mon grand désarroi. À l’époque, j’avais une vision plutôt négative de ma sexualité, comme si mon expérience réduisait ma valeur, ce qui est paradoxal parce que certaines personnes souhaitaient précisément me rencontrer à cause de cette expérience…
Suite à des discussions avec d’anciens partenaires et des amis, j’ai fini par tester les eaux en 2011 et offrir des initiations sexuelles contre rémunération, via le bouche à oreille. Ça a bien marché. Ma devise c’était : « Tout le monde connaît quelqu’un qui aurait vraiment besoin de baiser ! » En étant payée, on reconnaissait de la valeur à ce que j’apportais dans l’interaction, et je me détachais un peu plus émotionnellement des personnes que je rencontrais. J’ai aussi rencontré des amants payants via un site de sugar dating.
Très progressivement, j’ai monté mon activité indépendante à partir de décembre 2013 et j’ai rejoint les collègues de Indy Companion en 2014 à Montréal.
Après une longue pause d’un an et demi, j’ai enfin décidé d’en faire un métier en ajoutant en 2018 des services spécialisés pour les personnes en situation de handicap. Le fait de gagner raisonnablement bien ma vie en faisant quelque chose que j’aime m’a fait continuer !
Quelle sont tes activités militantes ?
Je suis syndiquée au Strass – Syndicat du travail sexuel et siège sur le conseil d’administration depuis juin 2019.
Je suis membre de l’APPAS depuis ma formation en 2018.
J’ai milité pour la prévention du VIH et des hépatites à AIDES entre décembre 2018 et mai 2021, notamment sur les actions auprès des travailleuses du sexe de rue et auprès des étrangers en Savoie, de deux à quatre fois par mois.
Je fais partie du collectif pour la mise en place d’une antenne départementale du Planning Familial en Savoie.
Je suis donatrice régulière de Framasoft, la Quadrature du net et du Fonds d’Action Sociale Trans.
As-tu suivi des formations professionnelles ?
Plusieurs ! Mais contrairement à ce que veulent vous faire croire les militantes prohibitionnistes, je n’ai pas reçu un BTS Fellation Excellence dans une réalité dystopique…
Je me forme petit à petit en m’inscrivant à des journées de formation, à des MOOCS (cours en ligne massifs offerts par des universités réputées) ou en assistant à des ateliers. Voir le détail de mes formations.
Qu’est-ce qui te pousse à travailler avec des personnes en situation de handicap ?
Pour moi, l’accompagnement sexuel ne se résume pas au handicap. Le travail d’accompagnement est depuis toujours au coeur de ma démarche d’escorting, même si je le nommais pas ainsi. Mon « cœur de cible » a toujours été des personnes manquant d’expérience, ayant besoin de plus de temps, d’explications de pédagogie, d’aide pour explorer, de contrôle sur la situation. Ça ne m’a pas empêché d’apprécier une clientèle plus classique, mais je me sentais plus valorisée dans mes compétences avec cess clientèle à besoins particuliers.
D’un côté, mon empathie et mon désir de partager des espaces de plaisir avec des gens qui y accèdent peu me motive à accompagner. Mais en plus, c’est rencontrer des gens aussi différents m’apporte beaucoup : la diversité des corps et des handicaps font que je suis perpétuellement en apprentissage, en recherche, en quête, et c’est très stimulant !
Quelle est la différence entre une accompagnante sexuelle et une escorte ?
Plus je pratique et moins je sens qu’il y a réellement une différence tant l’accompagnement fait partie de mon service ! Cette vision n’est toutefois pas partagée par tou·te·s les escort·e·s et tou·te·s les accompagnant·e·s.
Voici comment je conçois mes deux spécialités dans le travail du sexe :
- Escort girl/courtisane : Je suis une petite amie (GFE – Girlfriend Experience) temporaire. Après avoir pris rendez-vous, je me déplace pour rejoindre le client chez lui ou à l’hôtel pour une durée déterminée. La rencontre peut être plus ou moins planifiée. Le travail peut être sexuel, mais il est aussi émotif et affectif.
- Accompagnante sexuelle : des échanges par mail ou par téléphone sont souvent nécessaires car la rencontre doit être planifiée en fonction du lieu de vie, des intermédiaires nécessaires (soignants, familles). Nous nous donnons parfois rendez-vous par Webcam pour clarifier le tout, d’autant plus si la personne s’exprime difficilement par écrit. Nous déterminons les besoins, clarifions les attentes, les envies et surtout la logistique. On discute aussi des particularités propres à la personne : mobilité, sensations, douleurs, etc. Des personnes tierces comme la famille, la psy, l’auxiliaire de vie, un infirmier peuvent être impliquées. Si tout se passe bien, une première rencontre est planifiée. Le tarif est adapté car je rajoute du temps non-sexuel supplémentaire pour compenser le handicap, évacuer le stress, d’apprivoiser la situation, etc.
Pour toi, quelle est la différence entre la clientèle en situation de handicap et les autres ?
Principalement trois choses : la logistique, les personnes tierces et le revenu !
Avec la diversité des situations, il faut parfois réfléchir à beaucoup de choses en amont : où réaliser une rencontre, les problématiques de transfert, d’habillage, l’incontinence, les traumatismes, les problèmes d’expression orale comme l’aphasie, les troubles cognitifs…
Certaines personnes sont très autonomes dans leur démarche, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Il y a une ligne fragile à conserver entre l’implication des personnes tierces et le droit à l’intimité de la personne accompagnée – pour moi ce droit est fondamental.
Pour ce qui est de mes revenus, il faut savoir que je passe plus de temps en secrétariat, rencontres préalables, transports et autres adaptations. On peut dire que c’est ma façon de faire dans le social !
Quels mots préfères-tu utiliser pour parler de ton travail ? Pourquoi ?
J’utilise deux dénominations :
- Courtisane pour tout ce qui est du travail d’escorting classique
- Accompagnante sexuelle pour tout ce qui est du travail autour du handicap.
J’utilise aussi Travailleuse du sexe – TDS pour englober tous les aspects de mon travail et pour militer pour nos droits. C’est un terme englobant toutes les personnes offrant des services de nature sexuelle. C’est important pour mon d’être solidaire avec toutes les personnes de l’industrie du sexe, incluant celleux qui ont moins de choix que moi ou qui font l’expérience d’oppressions que je ne vis pas (liées à leur classe sociale, leur statut de sans papiers, au racisme, à l’identité de genre, par exemple). Enfin, j’utilise le mot pute quand je m’adresse à mes pairs, à mes collègues TDS. Ce n’est pas un mot que les clients doivent utiliser car c’est un terme réclamé, c’est-à-dire un mot qui est généralement utilisé comme une insulte par des gens en dehors de notre milieu et qu’on s’acharne à rendre positif.
Je déconseille l’usage des mots prostituée et personne prostituée. Même si ça découle parfois de bonnes intentions, ce sont des mots utilisés par les militants abolitionnistes et moralistes conservateurs qui prennent constamment la parole en lieu et place des TDS dans les médias et les lieux de lutte politique. Se croyant investi·e·s d’une mission morale et charitable, ils prennent des positions souvent dangereuses voire mortelles pour les plus marginalisé·e·s d’entre nous.
Est-ce qu’il y a des pratiques que tu ne fais pas ?
Évidemment ! Le champ de la sexualité est tellement large qu’il est très improbable qu’une TDS fasse vraiment « tout ». Je me concentre sur une sexualité classique. Je suis bisexuelle et il m’arrive de travailler avec des couples ou d’effectuer des duos. Il m’est arrivé de faire des jeux de domination légère et d’accepter certains fétiches, mais je ne suis pas une domina et c’est souvent après une première rencontre classique où la confiance s’est installée.
Quels sont les jouets que tu apportes avec toi au travail ?
J’ai toujours mon petit vibrateur Lelo Gigi 2 avec moi ainsi qu’un vibromasseur à cordon électrique (style Hitachi Magic Wand) de petite taille. Ces jouets peuvent être utilisés sur moi mais surtout peuvent servir à l’exploration pour les personnes que j’accompagne.
Que se passe-t-il si le client/accompagné n’a pas d’érection ?
La vie continue ! Heureusement que la sexualité n’est pas limitée à la pénétration… Tout le corps peut être utilisé pour la recherche de plaisir de l’un et de l’autre !
Est-ce que tu refuses des clients ?
Ça m’arrive ! Voici mes raisons les plus courantes pour un refus :
- Manque d’écoute et de respect pour mes demandes et conditions, comportements manipulateurs, hygiène déficiente
- Tentative de négocier mes tarifs, insistance pour des pratiques que je ne fais pas
- Logement éloigné ou difficile d’accès, trop de temps de transport pour moi
- Manque de respect pour mon temps lors des séances, personne pas préparée, tentatives délibérées pour étirer les séances au-delà du temps imparti
Je ne refuse pas de clients en vertu de leur âge, leur genre, leur race, leur handicap ou leur dysfonction sexuelle.
Comment puis-je te contacter pour une rencontre ?
J’ai choisi de ne plus rencontrer de nouveaux clients. J’exerce toujours le travail sexuel. Les clients qui me conviennent sauront me trouver. Si nous nous connaissons déjà, vous pouvez utiliser mon mail pour me contacter, ou m’envoyer un SMS.
Je reçois les personnes référées par l’Appas pour l’accompagnement sexuel des personnes en situation de handicap sur mon périmètre de déplacement.
Est-ce que tu as des facilités de paiement ?
Je fais ce travail de façon transparente, je déclare tout ce que je gagne sous le régime de l’auto-entrepreneur. Il n’est pas obligatoire de me payer en liquide. Je peux être payée par carte via une plateforme de paiement ou éventuellement par chèque ou virement pour les clients réguliers/handicapés uniquement (à certaines conditions). Je peux même fournir des factures pour les tutelles et curatelles !
Je cherche depuis longtemps une TDS indépendante et libre, une personne qui a choisi en conscience ce métier et ne se sent pas contrainte de le faire. Êtes vous complètement libre d’exercer ce métier ?
Étant donné tout ce que vous avez pu lire sur moi et tout ce que vous avez pu voir de moi, si cela ne vous a pas convaincu, je ne vois pas en quoi vous rassurer en plus changerait grand chose.
Dans le milieu militant, nous n’opposons pas la question du choix de façon binaire. Il y a un continuum de contraintes, et nous, TDS, exerçons un choix sur ce continuum. Je suis assez privilégiée sur ce continuum, mais si j’étais millionnaire, sans doute que je ne travaillerais pas. Dans ma vie, je préfère de loin le bénévolat, je n’apprécie pas les transactions et leurs relations de pouvoir. Je vous laisse réfléchir à la marge de choix que vous avez, sur votre travail et vos conditions de vie.
Cette quête ultime de la personne sans aucune contrainte financière ni mauvaise journée au boulot, de la TDS qui a choisi à 100% sont métier et vous choisit à 100%, elle ne peut qu’être illusoire. Beaucoup d’hommes que nous voyons baisent ou embrassent mal, et pourtant, il faudrait tellement aimer le sexe et surtout leur façon de baiser pour toujours prendre notre pied et choisir d’être là et adorer notre métier… C’est ce que le client veut vivre, mais ça ne peut pas être la réalité.
Pour rencontrer des TDS, il faut accepter le jeu de théâtre, la performance qui n’est pas 100 % réelle et authentique, qui est bien souvent un espace mental, une parenthèse parfois fichtrement douce pour tous, mais qui n’est pas la sexualité propre de la professionnelle. Le client mérite la mascarade, mais selon ses attentes et la personne qu’il choisit, elle sera plus ou moins réaliste et intime.
Si vous n’arrivez pas à acceptez cela, vous êtes comme ces touristes qui se rendent au Québec à la recherche « d’indiens » 100% authentiques, avec des plumes sur la tête, parce que c’est leur vision de l’authenticité, peu importe le vécu des peuples premiers.